VALENTINA LISITSA - 01 janvier 2014

 

Une infinie passion
 
Le Club musical de Québec est une « fenêtre ouverte sur la planète musicale », nous informe, au début du concert, Marie Fortin, directrice artistique, en insistant sur le voyage. En effet, ce lundi soir, au Grand Théâtre de Québec, le CMQ recevait une pianiste ukrainienne, Valentina Lisitsa.
 
Elle commence avec la Sonate nº 17 en ré mineur, op. 31, nº 2, de Beethoven, un choix audacieux vu la texture de l'œuvre, du moins des deux premiers mouvements. En effet, il est difficile de conquérir un public avec une telle douceur, avec la ténuité, l'absence, parfois, de l'harmonie qui accompagne une mélodie simple. Toutefois, le public reçoit toutes les notes que Lisitsa laisse désirer, attend chacune d'elles même avec avidité et accepte de languir. Puis, le troisième mouvement arrive, plus animé mais toujours joué avec souplesse et respiration dans tout le corps. Les doigts qui, fins, ne semblent qu'effleurer les notes, s'allongent avec tendreté, délicatesse et, ensemble, rappellent les ailes d'un papillon par leur mouvement gracieux. Ils impriment cette extraordinaire légèreté aux poignets, qui semblent respirer d'eux-mêmes, se mouvant de bas en haut.
 
Ensuite, Valentina Lisitsa continue de nous envoûter avec les Études symphoniques de Schumann. Sur un écran, tout en haut de la salle, les images qu'une caméra filme pour une diffusion ultérieure en France sont projetées en direct pendant le concert, de manière que tous voient l'agilité de la pianiste. Avec Schumann, les images se brouillent tellement les mains, prestes, se déplacent avec impétuosité. Le papillon se transforme en colibri et ses ailes véloces ne deviennent qu'une forme floue qui magnétise, embrume même l'esprit de l'auditoire. Tout s'estompe. La majestueuse robe cinabre de la pianiste se fond dans les reflets tango de l'éclairage. On ressent une grande plénitude, et l'esprit vagabonde. Peut-être Marie Fortin ne parlait-elle pas seulement du voyage physique, mais aussi de cet insondable voyage dans la pensée... Malheureusement, la fin est inévitable. Les dernières notes, puissantes et précises, nous éveillent et ravivent l'esprit. On sait que l'œuvre se termine, même si on ne l'a jamais entendue, car la virtuose ne se borne pas à une exécution fade : son jeu fervent transmet l'essence de la pièce, la mène du début à la fin de manière logique. Heureux, les gens se lèvent naturellement dès que la pianiste retire ses mains. Debout, ils battent maintenant des leurs et lui offrent une salve d'applaudissements.
 
Après l'entracte, on s'emmitoufle dans la chaleur de Brahms et dans celle des tons orangés de l'éclairage. Moi, qui dois bientôt choisir les pièces que je jouerai à la session prochaine au cégep, je sais maintenant que j'interpréterai une œuvre de Brahms, qui me réconfortera et me réchauffera sans cesse pendant la session d'hiver 2015. La première fois que j'ai entendu Valentina Lisitsa, c'est d'ailleurs en choisissant mes pièces pour ma première session au cégep, l'automne dernier. Son interprétation particulièrement habile d'une étude de Chopin m'avait alors fasciné.
 
À la fin des quatorze pièces de Brahms, les mains de Lisitsa s'effondrent sur le clavier. Mais, bien vite, la frénétique Sonate nº 1 en ré mineur, op. 28, de Rachmaninov les tonifie. Lisitsa semble s'envoler, légère, rebondissant sur son banc, si bien qu'on vient à l'oublier, ce banc, que voile sa robe, pendant le dernier mouvement. Toujours souple, toujours naturelle, elle ne fait pas que m'aider à choisir mes pièces, mais devient à mes yeux un parangon de souplesse et, de manière plus générale, m'infuse une inspiration, une impulsion. Après son concert, ravie des applaudissements affectueux, Lisitsa remercie à son tour le public en le stupéfiant avec une pièce imprévue, puis une deuxième, puis une troisième. Elle cultive une complicité indéfinissable avec les spectateurs, nourrit leur plaisir et leur passion en continuant de jouer pour eux. Et chercher à délecter les gens pour le plaisir, à leur insuffler, fortuitement et sans contrainte, une joie irrépressible, n'est-ce pas ce qu'il y a de plus louable chez un musicien ?
 
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Antoine Drouin