Trio Finckel-Han-Setzer - 16 janvier 2015

«Mieux faire aimer la musique en la faisant mieux connaître »

Le vendredi 30 janvier, à la salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm, le Club musical de Québec présentait son premier concert de l'hiver, le trio Finckel-Han-Setzer. Comme toujours, Marie Fortin, directrice artistique, nous accueille chaudement : « Nous allons pouvoir nous réchauffer au son de Brahms et de Beethoven. » Or, dès que le trio paraît, on voit que la portée de cette chaleur transcende la musique : la pianiste taïwanaise Wu Han nous embrase déjà avec ses souliers à talons hauts rouge vif et sa robe qui, diaprée de jaune, de vert, d'orangé, de violet, rappelle Martha Argerich. Deux instrumentistes, David Finckel, son mari, violoncelliste, et Philip Setzer, violoniste, suivent la pianiste.

Le concert débute par le Trio avec piano nº 7 en si bémol majeur, op. 97, « À l'Archiduc », de Beethoven. Bientôt, on voit le visage du violoncelliste s'illuminer d'un sourire mutin qui reflète sa confiance de manière élégante. D'abord gêné, le violoniste l'imite ensuite et sourit humblement. L'intégralité de l'émotion d'un orchestre se perçoit dans chacun des visages des instrumentistes, emplit la grande scène, si bien qu'on oublie que le trio n'en occupe qu'une petite partie, au centre, gagne même le public et l'émeut ardemment. De plus, l'interprétation est plus flexible que celle d'un orchestre. Les nuances sont particulièrement prenantes dans le Beethoven, surtout les pianissimi, astreignant l'auditoire à un silence très tendu. Cette souplesse s'étend dans les variations du tempo qui, tantôt imperceptibles, tantôt soutenues et marquées, sont exécutées en extraordinaire synchronisme.

Si chacun des musiciens répand une essence propre, l'ensemble aussi possède une substance, un caractère, une vie particulière : parfois le trio s'enfièvre, puis revient au calme, et les émotions individuelles des musiciens s'entremêlent. Chacun est tour à tour soliste et accompagnateur. Le caractère taquin du violoncelliste contribue à cet échange de rôles, à cette conversation animée : son sourire transsude le plaisir et il se complaît dans ce jeu.

Après l'entracte, les paroles de Marie Fortin revêtent leur sens premier : l'habituelle chaleur de Brahms nous réchauffe effectivement, nous ensoleille même par des mélodies touchantes et aiguës au violon, lancinantes et graves au violoncelle, mais surtout par des basses réconfortantes au piano, tantôt retentissantes, tantôt veloutées et timbrées. Les doigts de la pianiste, lors des traits arpégés rapides du Trio avec piano nº 1 en si majeur, op. 8, ne semblent qu'effleurer les notes ; pourtant, les marteaux du magnifique Steinway frappent les cordes avec une infaillibilité étourdissante.

Le silence devient viscéral après l'Adagio, qui se termine très doucement. Le violoniste et le violoncelliste étirent le point d'orgue de manière infinie, comme pour se repaître de la sérénité que cette fin leur insuffle. Personne ne parle, ne bouge, ne respire même. Tous sont émerveillés par la pureté et ressentent, comme les instrumentistes, un vertige, une ivresse, une volupté fugace.

Pendant l'entracte, un homme assis près de moi m'informa qu'à Berlin, plus de jeunes s'intéressent à la musique classique qu'ici. Puis, pendant cette paix évanescente, en me demandant comment on pourrait ne pas se délecter d'une telle plénitude, je remarque plusieurs jeunes dans la salle, attentifs et passionnés. Le slogan du CMQ, « [m]ieux faire aimer la musique en la faisant mieux connaître », me semble seoir à merveille.

Antoine Drouin