Soirée Classiques - 06 janvier 2013
La musique…une question d’émotions
Hier soir, au Grand Théâtre de Québec, avait lieu le premier concert de la série Soirées classiques, où l’Orchestre symphonique de Québec accueillait le chef Michael Francis et le violoniste Nicolas Dautricourt, deux jeunes artistes qui en étaient à leurs débuts avec l’OSQ.
Sur quels critères se base-t-on pour déterminer les styles de musique que nous apprécions ? Qu’est-ce qui fait qu’on préfère un genre musical à un autre, voire une interprétation d’une pièce à une autre ? Force est d’admettre que ces critères sont souvent inhérents et propres à chacun, d’où la difficulté de les cibler précisément. Eh bien, sachez que l’OSQ m’a permis de trouver la réponse, du moins une réponse que je ne soutiens pas être la seule. Ainsi, au-delà des instruments, des registres, des nuances, des articulations, des thèmes et de leur reprise – bref, de tout ce qui caractérise la musique –, ce sont véritablement les émotions transmises par la musique qui distinguent les pièces adorées de celles qu’on ne saurait aimer. Car la musique ne se résume pas à ce qu’on ressent pendant l’écoute d’une pièce : elle s’étend aussi à ce qu’on goûte après, à cette douce harmonie qui nous berce et qui semble nous laisser dans un état d’abandon que seule la musique pourrait combler.
Dans le cas de la Simple Symphony de Benjamin Britten, illustre compositeur anglais du XXe siècle, c’est le troisième mouvement qui embrasse véritablement cette définition de la musique. L’impressionnant synchronisme des instruments à cordes est marqué, certes, pendant les deux premiers mouvements, surtout lorsque le pizzicato prédomine, mais le troisième mouvement est, selon moi, le plus prenant. Les cordes frottées qui initient ce morceau marquent un contraste renversant avec les cordes pincées des premier et second mouvements. S’ensuit un passage plus agité qui traduit avec authenticité le titre du mouvement, « Sarabande sentimentale », et ce, de façon manifeste. Cette partie de l’œuvre, par le caractère véhément que revêtent les mélodies et leur interprétation, réussit sans équivoque à saisir tout l’auditoire. Les frémissements que j’ai éprouvés témoignent de cette émotion. La symphonie se clôt par un mouvement très rapide dont l’exécution irréprochable confirme le synchronisme des instrumentistes suggéré plus tôt. Le rôle de Michael Francis, chef d’orchestre invité, devient dès lors primordial, puisque ses mouvements précis sont le pilier de cette concomitance.
L’arrivée de Prokofiev est ensuite soulignée par l’ajout de percussions et d’instruments à vent ainsi que par l’entrée très attendue du violoniste Nicolas Dautricourt. On se rend alors compte que la symphonie de Britten, quelque intenses que les sentiments qu’elle a inoculés aient pu être, ne se développait qu’à partir d’instruments à cordes, ce qui dénote le génie de ce compositeur que j’ai d’ailleurs découvert. Dès le début du Concerto pour violon n° 1 en ré mineur, le soliste expose ses habiletés sans réserve, autant dans la partie suraiguë que dans la partie grave du registre. Je n’aurais jamais pensé que quiconque pût produire un son à la fois si intense et si aigu, ni que le violon offrît tant de possibilités sonores.
Ensuite, dans le deuxième mouvement, on perçoit une altercation entre le soliste et l’orchestre : chacun entend être omnipotent. Cette bataille, entrecoupée de moments de paix où tous jouent ensemble, se conclut par une victoire du soliste qui, par sa grande virtuosité et en frottant son violon avec fougue, rend indéniable sa toute-puissance. Puis, le registre suraigu de l’instrument confère au troisième mouvement comme un secret, un mystère.
Après l’entracte, ce mystère est immédiatement résolu : la clarté des thèmes imaginés par Brahms est rendue par l’orchestre de manière exceptionnelle. Je ne saurais décrire les deux premiers mouvements de la Symphonie n° 3 avec ordre et justesse tant je me suis laissé emporter par cette mélodie si calme. La reprise d’un thème et plusieurs moments héroïques ont su me réveiller, mais le second mouvement, qui inspirait la douceur d’un rêve, m’a ensuite bercé de nouveau. Comment aurait-on pu ne pas ressentir cette légèreté avec Michael Francis, dont les mouvements gracieux étaient plus doux encore ? Au cours du troisième mouvement, la présence d’un thème principal est évidente, si bien que, lors de sa reprise, l’auditeur a la sublime impression qu’il pourrait diriger l’orchestre et enchaîner, bribe après bribe, les phrases mélodiques qui constituent le thème, ce qui lui procure un plaisir palpable et une fierté portée à son paroxysme.
Le dernier mouvement revêt le caractère héroïque du premier tout en semblant esquisser une fin. Si le public, encore ici, entend guider l’orchestre, il se trouve surpris par l’harmonie ingénieuse de Brahms et la façon majestueuse dont les thèmes sont arrangés. Cette dernière partie de ce chef-d’œuvre contient un crescendo qui propose l’exacerbation de toutes les émotions véhiculées pendant le concert. Le spectateur serait alors en mesure de deviner les sentiments qui ont nourri la créativité de l’artiste au moment exact de la composition. Et transmettre des idées, des émotions, faire naître des sentiments, n’est-ce pas là le dessein même de toute création artistique ?
Antoine Drouin